Dans ce premier article j’aimerai parler d’art, de création et de sentiment d’être soi dans une perspective phénoménologique car tout cela relève d’un vécu personnel, de ma propre rencontre avec l’art et la création. Ce temps de création est un départ en expédition à l’intérieur de mon être. Je me promène dans mon imagination pour retranscrire ce que je ressens. Toutes ces images se baladent devant mes yeux et s’assemblent ensuite sur une toile, un macramé, un bout de papier…
Quand je peins un monde nouveau s’ouvre à moi, celui d’un espace et d’un temps hors de mon existence quotidienne. A l’image de ce que décrit Maldiney au sujet du trait de pinceau, comme un éclair de création. Je me sens transportée dans un monde imaginaire, où les couleurs m’apparaissent, comme des scintillements, où le geste de ma main tenant le pinceau s’exprime naturellement, sans réfléchir. Dans ces moments, je me sens portée par la créativité, dans un ailleurs qui est pourtant présent, ici et maintenant et ne pourra être reproduit à l’identique. J’éprouve un sentiment de bien-être et d’accomplissement lors de mon expression picturale où tout est possible.
Dans ce vécu je me sens profondément connectée avec ce que nous pouvons appeler le self, le soi ou encore l’identité. A travers cette expérience le corps et l’esprit ne font qu’un. Les sensations corporelles, la vue, l’odorat, les mouvements de la main, du bras, ou encore du corps donnent vie à l’expression d’une idée, d’une pensée, d’un sujet appartenant au monde clos de mon esprit.
Je pense que à travers la rencontre de l’art nous pouvons alors expérimenter ce profond sentiment d’être soi, en accord avec soi-même. Cette expérience racontée exprime ce à quoi nous donnons de l’importance dans la pensée phénoménologique. Le registre de la phénoménologie est celui du Sentir qui a pour objectif de fonder une continuité de la vie psychique, à partir du vécu corporel dans le registre de l’originaire, avant la constitution de la représentation d’objet.
Ainsi j’aimerai vous parler ici de création, d’expérience artistique et de l’expérimentation du sentiment d’être soi. De nos jours il n’est pas toujours évident de trouver sa place, de s’accepter tel qu’on est sans chercher à renvoyer l’image que les autres attendent de nous. Et il me semble que créer nous permet de renouer avec qui nous somme au plus profond de notre être. Créer nous permet de nous donner cette liberté d’etre soi.
La création serait de laisser advenir son être. Pour créer il faut s’étonner du monde dans lequel nous vivons, s’étonner de ce que nous voyons. Cet étonnement sera favorisé par l’observation du monde qui nous entoure dans tous les moments de notre vie. Maldiney met en avant la capacité d’étonnement comme acte créateur :
Et partout où se manifeste un étonnement, se manifeste une ouverture […] une première éclaircie.
Vivre une expérience Artistique, ouvre à la rencontre d’un évènement, d’un monde, permettant ainsi d’expérimenter des nouvelles possibilités d’être. Dans la rencontre avec l’art il est question
d’ouverture à la dimension pathique de la rencontre et de l’évènement.
La dimension pathique est la capacité affective d’ouverture à l’autre. Elle est un savoir que nous pouvons acquérir qu’en éprouvant, qu’en ressentant a travers nos sens. C’est ce qui se joue au contact de l’art. Le contact avec l’art nous invite à éprouver au travers tous nos sens ce que nous vivons dans cette expérience. Ainsi nous éprouvons des sentiments, des émotions, des sensations corporelles qui nous invite à acquérir ce savoir et à nous ouvrir à la rencontre du monde qui nous entoure. Nos sens nous donnent toutes les informations nécessaires pour comprendre le monde. Et créer nous pousse à explorer nos sens. Winnicott écrivait,
C’est en jouant et peut être seulement quand il joue, que l’enfant ou l’adulte est capable d’être créatif et d’utiliser sa personnalité toute entière. C’est seulement en étant créatif que l’individu découvre le soi.
Il entend la créativité au sens d’une quête de soi. Dans les ateliers à visée artistique, cette dimension de la créativité y est sous-jacente. L’activité artistique est le support du jeu afin de laisser s’exprimer le soi, la personnalité dans son entièreté. Winnicott nous dit que grâce à la créativité l’individu « peut se rassembler et exister comme unité, non comme défense contre l’angoisse, mais comme expression du je suis, je suis en vie, je suis moi-même. ». Ainsi l’art et la créativité, par le jeu, permettraient à l’être humain d’expérimenter le soi dans sa totalité. L’art et la créativité ouvriraient à soi, au minde et à l’autre.
En créant on se laisse la liberté d’être soi et cela fait beaucoup de bien de s’accorder un temps pour être soi. Créer c’est emprunter le chemin de l’acceptation de soi tout en allant à la rencontre du monde et d’autrui. Sans monde, sans autre il n’y a pas de création car finalement on s’inspire de tout ce que nous vivons et tout ce que nous observons. Donc la création s’inscrit comme un perpétuel échange entre notre monde intérieur et le monde extérieur, tout en laissant place à la liberté d’être soi.
1 H. Maldiney, (1985), Art et Existence, Paris : Klincksieck, 2003, p. 174
2 H. Maldiney, (1970), Art et pathologie,
3 F. Dastur, Henri Maldiney Une phénoménologie de la rencontre et de l’événement, Revue de l’Association Inernationale Henri Maldiney L’Ouvert, n°1/2008
4 D. Winncott, (1971), Jeu et réalité. L’espace potentiel, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1975, p.110
5 D. Winncott, (1971), Jeu et réalité. L’espace potentiel, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1975, p. 110
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