La construction adolescente du point de vue de la psychanalyse
Au milieu des années 70 la psychanalyse va s’intéresser de plus près à la construction adolescente, car à cette époque vont s’y ancrer l’origine de troubles du narcissisme, de plus en plus prégnants au sein de la patientèle. Les difficultés rencontrées par ces patients concernent la capacité à se construire une représentation d’eux-mêmes en positif. Plus précisément : « Le conflit se situe autour de l’être : comment réussir à maintenir un sentiment d’être, une cohésion de l’image de soi, tout en se reconnaissant sujet de désir, porteur de ses propres désirs et objet des désirs de l’objet désiré. ».
Un enjeu capital de la construction adolescente est ici concerné : la capacité à désirer tout en s’aimant suffisamment.
Il s’agit de trouver un juste milieu entre les remaniements identificatoires et l’identité propre. Ladame et Perret-Catipovic présentent l’adolescence comme « un processus psychique qui permet d’intégrer les changements induits par la puberté. ». « Ce processus commence au moment où la puberté est investie par l’enfant, parfois même avant que celle-ci ne soit éprouvée dans le corps. ». Le bouleversement de l’adolescence est induit à la fois par les changements corporels, mais aussi par le réveil des désirs œdipiens qui auront été mis en attente lors de la période de latence.
Les pulsions trouvent alors leur but lors du « pubertaire ». « Maintenant un nouveau but sexuel est donné et toutes les pulsions partielles agissent conjointement pour l’atteindre, tandis que les zones érogènes se subordonnent au primat de la zone génitale. » écrit S. Freud. La sexualité adulte à laquelle se retrouve confronté l’adolescent est source d’angoisse, car l’excitation sexuelle va créer un état de tension et nécessite une décharge pulsionnelle qui aboutira alors au plaisir. L’investissement de nouveaux objets d’amour sera alors essentiel et devra s’inscrire dans une autonomisation de la pensée afin d’éviter l’instauration de relations amoureuses de l’ordre de la dépendance affective, rappelant celle du petit enfant à sa mère. En effet, l’adolescent quitte le monde de l’enfance pour entrer dans la vie adulte. « Le renoncement, nous dit Annie Birraux, au corps d’enfant et à ses privilèges peut apparaître à certains sujets comme une opération trop lourde de risques pour être tentée. ». Le passage du corps enfant à un corps adulte est un véritable « challenge narcissique » qui doit mener à une satisfaction libidinale, un enrichissement narcissique ainsi qu’une cohésion de l’image de soi.
Il apparaît à J. Lampl-De Groot que ses patients présentent justement des difficultés à revivre les processus psychiques de l’adolescence, se manifestant par des failles narcissiques. Le processus adolescent nécessite une mise à distance des objet parentaux, or le sur-moi est justement l’ensemble des interdits parentaux et moraux intériorisés par l’enfant. L’adolescent se retrouve pris dans un conflit où ces interdits intériorisés faisaient partie de lui-même, et en renonçant à l’amour pour les parents, l’adolescent abandonne une partie de lui-même. « L’adolescent doit non seulement supporter la douleur liée à la perte de l’objet d’amour, faire face à un travail de deuil et de révision des interdits et limitations infantiles, mais en plus il doit endurer la blessure causée par l’ébranlement si ce n’est la perte de ses assises narcissiques. ». Il est alors nécessaire de comprendre comment l’adolescent va pallier cette blessure narcissique, pour construire son propre Moi, un Sur-moi et Idéal du moi non défaillant, et n’entrainant pas des déviations psychopathologiques.
P. Blos a mis en évidence « un second processus d’individuation » à l’adolescence. Il s’appuie sur les travaux de M. Malher qui avait démontrer un « premier processus d’individuation » lors duquel l’enfant devient de plus en plus indépendant grâce à un processus d’internalisation de la présence de la mère. A l’adolescence, c’est en se dégageant de l’investissement objectal parental que la maturation du Moi va être possible. « L’individuation de l’adolescence est le reflet des transformations structurelles qui accompagnent les désengagements émotionnels des objets infantiles internalisés. ». Sans ce désinvestissement, il est impossible pour l’adolescent d’investir de nouveaux objets et une fixation va s’avérer pathologique. Pour P. Blos, lorsque la construction du Moi est défaillante, notamment par des difficultés de désengagement des liens parentaux, on observe l’échec du processus d’individuation qui va se manifester notamment par des acting out, ou sur le versant de la dépression avec une perte de motivation.
La « crise d’ado » : du normal au pathologique
L’adolescence est marquée de bouleversements et de changements, qui vont être conceptualisés en crise ou en processus, comme nous l’avons vu précédemment avec les travaux de P. Blos. Qu’on parle de crise ou de processus, on repère trois grands changements : le désinvestissement des liens parentaux, l’accès à la sexualité adulte marquée par la « potentialité orgasmique » qui va conduire l’adolescent vers de nouveaux objets d’amour, et le travail des identifications qui va aboutir à la subjectivation.
Certains auteurs, à l’image d’E. Kestemberg, envisageront l’adolescence comme une crise, qui serait quant-à-elle normale, et c’est justement l’absence de crise, qui serait pathologique. L’un des enjeux de l’adolescence pour Kestemberg est « de se conquérir soit même », et pour cela, l’adolescent va faire face à la perte des indentifications antérieures, et la perte d’une partie de soi-même, car en se confrontant à la réalité il se rend compte qu’il n’est pas ou ne sera pas ce qu’il a pu fantasmer. La décharge pulsionnelle passe alors dans l’acte et marque chez l’adolescent la désillusion et l’impossibilité de mettre en attente ses projets. Ainsi d’après M. Gross, « le passage à l’acte à l’adolescence semble la plupart du temps appréhendé comme une modalité défensive face à diverses situations conflictuelles engagées notamment par les bouleversements pubertaires. ».
P. Jeammet explique le passage à l’acte de l’adolescent comme un moyen de reprendre le contrôle sur son sentiment de dépendance « pathogène » à l’environnement. Alors « L’acte violent instaure brutalement un processus de séparation et de différenciation avec l’autre. ». L’acte, les conduites de l’agir, vont permettre à l’adolescent de se réapproprier le Moi, un Moi dont les assises narcissiques sont instables du fait probablement de « l’absence d’un sentiment de sécurité interne suffisant qui permettent à ces sujets […] de faire appel à leurs ressources psychiques internes pour pouvoir différer leur réponse à leurs émotions […] ».. Pour bénéficier d’un sentiment interne de sécurité, l’entourage a dû suffisamment répondre aux besoins du petit enfant, tout en permettant à l’enfant de s’ouvrir à l’autre et ne pas s’enfermer dans une relation d’emprise et de dépendance à l’un des parents. Un des enjeux de l’adolescence concerne l’intégration de la loi symbolique, directement reliée à l’élaboration du Sur-moi à l’adolescence. « Le Sur-moi est défini comme l’héritier du complexe d’œdipe, il se constitue par intériorisation des exigences et des interdits parentaux. ». Au moment de l’adolescence, qui marque l’abandon de l’amour parental et l’investissement de nouveaux objets, le sur-moi se retrouve face à un conflit qui peut être source d’angoisse. Un des recours pour lutter contre cette angoisse va être l’adoption de comportements transgressifs, de mise en danger ou encore de passage à l’acte.
J. Lacan, quant à lui, différencie l’acting out du passage à l’acte comme s’adressant à un Autre, alors que le passage à l’acte ne serait pas dirigé. « L’acting out est essentiellement quelque chose, dans la conduite du sujet qui se montre. L’accent démonstratif de tout acting out, son orientation vers l’autre doit être relevée. ». J. Lacan compare l’acting out au symptôme dans ce qu’ils ont de similaire – c’est de se voir – cependant d’après lui « l’acting out appelle à l’interprétation », alors que ce ne serait pas le cas pour le symptôme. L’acting out s’adresse directement à un Autre ; « c’est l’amorce du transfert ». J-M Forget présente l’acting out adolescent comme une mise en scène : « Par l’acting out, l’adolescent met en scène un trait de son identité dont il ne veut rien savoir. ».
Dans « la crise d’ado », l’adolescent montre ce qui lui est impossible de dire que ce soit une souffrance particulière, une difficulté à trouver sa place au sein du groupe, une problématique d’identité, ou encore des questionnements autour de sa sexualité. Autant de changement et de bouleversements qui peuvent paraitre impossible à dire et vont alors s’exprimer a travers la rébellion et la crise de l’adolescent.
Oeuvre de;
- LEOVY
- Caroline Morin